30 mars 2022

AÉROPORT DE FIUMICINO / ROME

Vous ne pouvez pas passer. Votre vol est demain.

Oui, mais il est à six heures du matin. Donc j'aimerais rentrer dans l’aéroport pour la nuit.

Ce n’est pas possible.

Mais môssieur, j’étais là y a une heure, je viens de France. Regardez mon billet.

Bon je vais voir. (talkiewalkie) Non c’est pas possible.

Mais s'il vous plaît. Je ne vais pas dormir là quand même, j’étais là-bas y a deux secondes, là où il y a des cafés macchiato con leche, des pizzas, des boutiques de luxe et trois pianos, un dans chaque salle d'embarquement. J'ai voulu marcher un peu mais j’ai pas compris que je sortais de l’aéroport. Je suis désolée. S'il vous plaît !

Bon on va voir le policier.

Blabliblabla.

Non pas possible, désolé.

Plus tard.

Madame s'il vous plaît, regardez je viens de France et je voulais rester dans l’aéroport mais je me suis perdu et maintenant je ne peux plus rentrer.

Olala bon je vais voir.

Blabliblablaenitalien

Non, c'est pas possible.

S’il vous plaît.

Venez.

Blabliblabla.

Non pas possible. Revenez à minuit. Vous pourrez passer à ce moment-là.

Bon d’accord. Merci


(Tout ça en anglais oui oui oui!!)


Un homme jouait du piano, devant un des magasins en duty free. C’était si beau que lorsqu’il a eu fini j’ai eu envie de marcher. J’ai parcouru les couloirs, le premier, le deuxième, le troisième. J’ai eu envie de respirer un peu l’air de Rome, persuadée que je pourrais re-rentrer à ma guise. Trois policewoman et deux agents d’aéroport plus tard, fière d’être arrivé à parler en anglais plus d’un quart d’heure, j’abandonne l’idée de retrouver le dutyfree et les pianos. Je me réfugie au terminal 3, là où il y a des prises électriques. Structure d’acier et de verre, sièges plastique noirs et accoudoirs.

Je ne suis pas seule à me réfugier là. Nous sommes une dizaine. Puis une quinzaine.

La femme noire a dansé toute la nuit sur son siège. Une autre est arrivée à s’installer confortablement, encastrée entre les accoudoirs des sièges. C’est la seule qui est arrivée à dormir toute la nuit. Une autre a tourné en rond toute la nuit. L’homme maigre a dormi par terre. Les deux jeunes filles asiatiques ont joué sur le haut des sièges, assises à califourchon. Elles ont souvent rit. Chacun.e notre tour, nous avons chargé nos ordis ou nos mobiles. Certains ont joué à des jeux vidéos, d’autres ont téléphoné toute la nuit. À minuit, j’ai tenté de rejoindre le terminal 1. Mais les portes du terminal 3 étaient fermées de 24H00 à 3H. Raté. J’ai retrouvé ma place sur les chaises plastiques. Pas une seule machine à café. Juste un photomaton et d’immenses panneaux publicitaires en placo « next destination ? Shopping ! » avec l’image d’une jeune femme portant une valise et des sacs d’achats.

Les accoudoirs sont vraiment durs. Dormir sur le côté gauche, puis sur le droit, puis sur le dos. Rêver qu’un lapin me mordait l’index droit. Puis de mon ancien chef de chœur.

Un grand calme entrecoupé de bruits d’aspirateurs et des bavardages des femmes d’entretien.

4:00 Retour terminal 1. Douane, papiers, enlever mes chaussures, remettre mes chaussures. Dutyfree fermé. Le hall est quasi vide. Quelques personnes assoupies en travers sur les sièges. Tous les quarts d’heure une annonce pour dire « portera masqua et gardera les distancias. ». Finalement, au terminal 3 nous avons évité cette voix répétitive précédée du son d’un gong.

Machine à café transparente, on voit les grains couler, se faire broyer et le jus macciato con leche sortir d’un petit tuyau. Sandwich parmesan aubergines 4 euros. Choisir la bonne case de poubelle : Carta/rifuti/ plastica allluminio

Vers 6h l’aéroport reprend vie. Un morceau de piano, le bruit des cuillères, des tasses qui s’entrechoquent. Le défilé des passagers : chemises blanches, talons noirs, joggings, baskets, tee-shirts, repose-tête, grands manteaux beiges, blousons identiques pour tous les membres d’une famille, hôtesses de l’air en tailleur, jupe courte bleu liseré jaune, hommes costards cravates, valises violettes, roses, noires, sac à dos, à main, pleurs d’enfants, le roulis des valises sur le carrelage.



Trois hauts le cœur plus tard. Athènes. Le bus X95 et la place Sintagma. Au pied de chaque arbre, un tapis d’orange amères.



C’est là que je dois retrouver La Kyria, mon amie internationaliste aux grands yeux bruns.

 

[28/ 29 mars 2022]

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